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22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 19:53

LOIS ISLAMOPHOBE ET FEMINISME

Özgür Leons

http://a402.idata.over-blog.com/2/68/36/93/Montage-droits-des-femmes-voilees.jpg

 

Une avalanche de loi. Au nom de la laïcité. Au nom du droit des femmes. Depuis 2004, la droite vote une série de lois racistes et/ou islamophobes, conduisant à la stigmatisation des populations déjà trop souvent confrontées au racisme et musulmanes en France – comme, par exemple, la loi reconnaissant les aspects positifs de la colonisation de 2003. La gauche et une partie du mouvement féministe se sont emparés de la question du foulard des femmes musulmanes pour cautionner ces lois. Des lois qui ne ciblent que les musulmanes, rien qu’elles, et qui touchent à leur droit à l’éducation, à leur liberté de conscience, à leur liberté d’exercer un métier ou de circuler librement. Ainsi :

-> 2004 : les adolescentes sont montrées comme des victimes et des manipulatrices dans un long battage médiatique provoqué par des professeurs de gauche. Suite à cela, le gouvernement, de droite, fait voter la loi du 15 Mars 2004 sur le port des signes religieux à l’école. De fait, ce sont des centaines de jeunes filles qui sont forcées d’enlever leur foulard, d’aller dans des établissements privés – donc payants – ou de quitter le système scolaire. Cela après de longs interrogatoires, des mises à l’isolement dans les écoles, des conseils de disciplines… parfois avant même que la loi ne soit votée.

-> 2010 : André Gérin, un député communiste, propose une loi interdisant le port du voile intégral – le niqab – dans l’espace public. Le gouvernement s’empare de la question et fait voter une loi, là encore au nom de la laïcité et de la liberté des femmes et de leur dignité. Les femmes sont passibles d’amendes, de stage de citoyenneté, voire d’emprisonnement après récidive. On compte entre 360 et 2000 le nombre de femmes portant un voile intégral en France. C’est ce qu’on appelle une loi d’exception.

Parallèlement, un grand débat sur l’identité nationale est lancé par le gouvernement en 2009, ouvrant la route à un racisme ouvert et aux réactions islamophobes. Les agressions augmentent. Les complexes tombent.

-> 2011 : le ministre de l’éducation propose une loi qui interdit aux mamans qui participent aux activités des écoles de porter le foulard. Face aux réactions, il recule. Mais l’esprit est entendu : il n’est plus tabou d’interdire à des mamans de participer à la vie de l’école de leur enfant et les écoles peuvent décider, par les règlements intérieurs, de refuser les mères qui portent le foulard. Ces mamans-là ne sont pas assez bien, pas assez dignes.

-> 2011 : dans un collège, des jeunes filles sont convoquées par le directeur de l’école parce qu’elles portent des robes trop longues et trop unies. Elles sont priées de porter un jean, comme tout le monde. Ces jeunes filles sont connues pour porter le foulard en-dehors du collège.

-> 2011, encore. Alors que la loi sur la laïcité n’impose la neutralité qu’au personnel des services publics, une femme travaillant dans une crèche privée est licenciée pour port du foulard.

-> 2011, encore et toujours : une loi interdit la prière musulmane dans les rues, ravivant le nationalisme de la société.

-> 2012 : le sénat, à majorité socialiste, vote une loi sur l’interdiction, pour les nourrices à domicile de porter le foulard dans l’exercice de leur profession. Là encore, c’est la laïcité et le droit des femmes qui sont brandis.

 

Le rythme des lois qui restreignent les droits et la liberté des musulmanes s’accélèrent et les débats s’effacent. Il semble de plus en plus normal de faire passer ces lois d’exception. Lois d’exception à la fois parce qu’elles ne visent souvent que quelques centaines de personnes. Mais surtout, parce qu’à chaque fois, ce sont des femmes musulmanes qui sont visées.

En 2004, les féministes se sont littéralement déchirées sur ce sujet. Aujourd’hui encore, il est souvent impossible de parler du foulard dans les milieux féministes. Dès que l’on se dit contre ces lois, on est accusée d’être « pro-voile » et de vouloir l’oppression des femmes. Il est impossible d’avoir une discussion constructive. Et pourtant ! Et pourtant, en tant que féministes, ces lois devraient nous inquiéter sur plusieurs points : les féministes ont abandonné des champs importants de leurs combats historiques – l’éducation, l’autonomie financière, le droit des femmes à porter ce qu’elles veulent, le droit des femmes à parler en leur nom. Elles se sont laissées aveugler par les arguments de la laïcité et de la liberté des femmes et cela doit nous interroger sur les autres rapports de pouvoir qui traversent le féminisme.

Ces lois ont brisé la scolarité de jeunes filles qui, pour certaines, n’ont pas réussi à reprendre leurs études. Ces lois ont renforcé le racisme quotidien et beaucoup de femmes voilées ne trouvent pas de travail, alors même qu’elles font des études brillantes. Ces lois interdisent à des femmes d’exercer leur métier et d’être autonome financièrement. Ces lois interdisent à des femmes de circuler librement.

Ces lois racistes sont aussi sexistes, ne s’appliquant qu’aux femmes. Des féministes ont voulu participer à libérer les femmes qui portent le foulard, y compris malgré elles. D’ailleurs, c’est souvent des exemples d’Afghanistan et d’Iran qu’elles convoquaient comme argument.

L’argument de l’oppression et du choix de ces femmes ne tient pas. Comment, d’un point de vue féministe, cautionner des lois qui prive d’éducation, de liberté de bouger, d’autonomie, d’indépendance financière et du droit de décider pour soi de ce que l’on va faire de son corps ? Pourquoi ce qui était valable pour les féministes dans les décennies précédentes, à savoir l’émancipation par l’éducation et l’autonomie financière, ne s’appliquerait  pas aux femmes portant le foulard ?

Peut-être parce que le sexisme versus féminisme n’est pas le seul rapport de pouvoir de ces lois.

Ces lois racistes et sexistes sont également islamophobes. Rien sur les femmes juives orthodoxes qui se couvrent également les cheveux. Rien sur les bonnes sœurs, elles-mêmes voilées. Rien sur les multiples exceptions au principe de laïcité (la loi de 1905 ne s’applique pas en Alsace et en Moselle, le président, invité particulier au Vatican…) Il s’agit bien de cibler la population musulmane.

Ces lois racistes, sexistes et islamophobes sont également classistes : jeunes filles dans des collèges publics, donc gratuits, mères parfois au foyer dans les écoles, nourrices… ce sont principalement les classes populaires et moyennes qui sont visées par ces lois. Mais également des femmes qui réussissaient à l’école, qui ont fait de brillantes études universitaires et qui ne trouvent aucun travail. C’est l’entrave à l’accession de ces femmes-là à une visibilité dans le monde du travail et intellectuel qui est également recherché par ces lois.

Comment les féministes peuvent accepter cela ? http://a10.idata.over-blog.com/2/68/36/93/AFF-n-etes-vous-pas-jolie-2.jpg

Les féministes françaises ont traditionnellement une vision universaliste du droit des femmes.

C’est-à-dire qu’elles conçoivent la liberté des femmes selon leur propre idéal et leurs propres priorités, avec un modèle exportable.

Ce modèle exportable d’émancipation, nous en avons eu des exemples pendant la colonisation, en Algérie, où furent mise en scène des dévoilements de femmes sur la place publique. C’est ce qui se passe encore quand des féministes pensent savoir mieux que les femmes voilées ce dont elles ont besoin. Quitte à les “libérer” malgré elles et à légitimer une politique raciste et nationaliste. C’est ce qu’elles font également avec les travailleuses du sexe : des femmes empêchent des femmes de parler.

Il est urgent pour les féministes française d’analyser les articulations qu’il y a entre sexisme, racisme et nationalisme en France. Les politiques coloniales prennent les femmes pour symboles ; les discours islamophobes prennent les femmes pour symboles ; les discours sur la modernité prennent les femmes pour symboles. Mais les femmes ne veulent pas être des symboles. Elles veulent vivre, parler et agir en leur nom.

Il est d’autant plus urgent d’avoir des discussions constructives et de travailler ensemble que la situation des femmes en France n’est pas enviable : droit à l’avortement en danger immédiat, violences conjugales et quotidiennes toujours d’actualité, corps modelés, autonomie toujours pas garantie… les féministes ont baissé la garde ces dernières années. Et le système patriarcal, lui, se nourrit de leur racisme et se renforce à mesure que nous nous divisons. Il y a urgence. 

 

Özgür Leons

 

Pour aller plus loin

 

Des collectifs à découvrir, à rencontrer…

CFPE : Collectif Féministes Pour l’Egalité http://cfpe.over-blog.org/

MTE : Mamans Toutes Egales http://www.mamans-toutes-egales.com/

Une Ecole pour Toutes et Tous

 

Des sites à consulter

LMSI : Les Mots Sont Importants : http://lmsi.net/

Oumma : http://oumma.com/

 

Des choses à lire

Inch Allah l’égalité ! : Journal du CFPE

Les filles voilées parlent, M. Latrèche, I. Chouder, P. Tévanian, La fabrique, 2008, 340 p.

Le voile médiatique. Un faux débat : « L’affaire du foulard islamique », P. Tévanian, 2005, 133 p.

Les féministes et le garçon arabe, N. Guénif-Souilamas, E. Macé, Editions de l’Aube, 2004

Classer, dominer, qui sont les “autres” ? C. Delphy, La Fabrique, 2008

Revue, Nouvelles Questions Féministes, « Sexisme et racisme : Le cas français », vol. 25, n°1 & 2, 2006, 2007, 216

« De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à Ni Putes Ni Soumises : l’instrumentalisation coloniale et néo-coloniale de la cause des femmes » par Houria Bouteldja :

http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=339

Fanon F., « L’Algérie se dévoile », L’An V de la révolution algérienne, La Découverte, 2001

 

Des choses à voir

Un racisme à peine voilé, de J. Host, H. Production, Toulouse, 2004 (contact@hprod.org)

 

Et plein d’autres encore, bien sûr…

 

Cet article a été initialement écrit pour le journal féministe Turc "Amargi" de l'association féministe du même nom. Pour en savoir plus sur Amargi, leur blog en anglais et leur site en Turc.

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